Peut-être bien un siècle qu’il est là
Planté droit, juste en bas de chez moi comme un éclat de magma froid
C’est un vieux mur fourbu, mal assis, mal vêtu
Au beau milieu du parvis, appuyé contre rien, suspendu à demain
Tous les chemins du coin mènent à lui
Toute la faune de l’asphalte s’en est faite un abri
C’est le réceptacle des insultes de tous les pays
L’impasse préférée des chômeurs en quête d’exploits
Le cendrier collectif des bonimenteurs en fin de droit
Où s’entassent les filtres qui ont donné leurs couleurs à nos doigts.
On y explose parfois nos têtes
Lancés dans des bolides aussi gros que nos dettes.
On y frotte nos crinières,
on y rode des bières,
En se promettant de baiser un jour la fille du maire.C’est un vieux mur décrépi qui nous compte, qui nous suit,
Qui nous reconnait tous au bruit de nos pas,
A l’allure, à l’haleine, à la nuque, à son poids.
On croirait même parfois l’entendre murmurer « Reste là ».C’est un vieux mur lépreux qui ne parle qu’aux gueux
Et qui regarde balancer les vies du berceau au cheval de bois
Du bac à sable à la table de trois,
De la flemme à l’ennui,
Du brayage au bruit,
De l’échec au ceinturon,
Du ceinturon à la rue,
A ses gardés à vue,
Et puis de la solitude au moyen de la noyer sur les toits de l’immeuble.
Du premier appart au premier meuble,
D’une paire de fesses trop bien ficelée
A une bouche qui demande à grailler neuf mois après.
Du contrat précaire à la pension alimentaire,
Du RMI au crédit,
Du crédit au crédit,
Du trou d’air au trou noir,
Du trou noir au trou d’air,
Du pas de trop au pas de travers,
De l’amour qui ne se dit pas
A la haine qui se voit,
Quand adossé à ce vieux mur coasse le corbeau comme moi »
Zone Libre / Le Mur
Texte par Hamé